La particularité de cette affaire c’est que Monsieur B a été victime de plusieurs plateformes frauduleuses proposants des placements financiers atypiques. Une autre particularité réside dans le fait qu’une des plateformes ayant convaincu Monsieur B. d’y effectuer ses placements, a été régulée, c’est-à-dire disposant d’une licence auprès de l’Autorité de Régulation Financière de Chypre (CySEC). Courant l’année 2012, Monsieur B a été démarché par des conseillers de ladite plateforme régulée en vu d’investir sur des options binaires et dans le Forex (des placements considérés comme très spéculatifs et très risqués).
Ensuite, et c’est ce qui arrive très fréquemment, Monsieur B a été contacté par d’autres plateformes lui proposant de récupérer les fonds perdus moyennant paiement des taxes, et lui ont également proposé d’autres investissements.
Dans un premier temps, Monsieur B a déposé plainte contre des trois plateformes auprès du procureur de la république le 7 septembre 2016. Un fait rare, une information judiciaire a été ouverte à l’encontre des 3 plateformes et Monsieur B s’est porté partie civile.
Par la suite Monsieur B a engagé deux procédures, une contre la plateforme régulée, puisque c’est une société existante et dans la mesure où il y avait une information judiciaire ouverte à son encontre, et une autre contre sa banque.
Il existe en matière de tenue des comptes bancaires un devoir de non-ingérence du banquier lui interdisant de s’immiscer dans les affaires de ses clients Ce devoir de non-ingérence (ou encore appelé devoir de non-immixtion) cesse de s’appliquer lorsque le fonctionnement du compte bancaire est entaché d’anomalie apparente qui peuvent
être matérielles ou intellectuelles.
La présente affaire concerne les anomalies intellectuelles qui correspondent aux circonstances dans lesquelles les paiements litigieux ont eu lieu contrairement aux anomalies matérielles qui affectent la régularité même du titre (falsification de la signature, numéro IBAN erroné…etc.). Pour savoir s’il y a existence d’anomalies apparentes le juge va se référer à un faisceau d’indice qui consiste pour lui à vérifier le montant des opérations de paiement, leurs périodicités, leurs destinations (si les paiements sont dirigés vers des pays où le client n’ y a jamais effectué des paiements auparavant), les bénéficiaires des paiements ( s’il y a une antériorité de relations d’affaires avec ceux-ci), le libellé et l’objet des opérations de paiements (si le libellé ne comporte pas le nom de la plateforme frauduleuse et si elle est inscrite sur la liste noir de l’AMF).
Ensuite le juge va comparer ces paiements aux opérations de paiements que le client effectue habituellement. Il va prendre en considération, et c’est un élément central dans l’analyse, le profil dudit client, si le client est profane ou averti en matière de placements financiers classiques ou atypiques.
En fonction de ces éléments, le juge va déterminer si oui ou non les paiements litigieux correspondent à des anomalies apparentes, et si tel est le cas il va vérifier si le banquier a eu une réaction appropriée. On considère qu’en présence d’anomalies apparentes affectant le fonctionnement du compte d’un client, le banquier doit à tout le moi s’alerter et s’approcher de son client et le mettre en garde solennellement s’il s’avère qu’il s’agit d’une opération frauduleuse. Certains juges vont jusqu’à considérer que le banquier doit refuser, en présence d’anomalies apparentes, l’exécution du paiement.
Si le banquier n’a pas eu une réaction appropriée, c’est-à-dire en présence des opérations de paiement à destination de plateformes de trading frauduleuses, s’il n’a pas mis en garde ou alerté son client d’une manière solennel, il engage sa responsabilité et sera condamner à indemniser son client des pertes subies.
En l’espèce, dans un premier temps Monsieur B a été considéré comme étant prescrit concernant les virements effectués antérieurement à 2015 (en France, le délai de prescription en droit commun est de 5 ans). Dans cette affaire, le juge a considéré la banque responsable et l’a condamnée à indemniser le client d’une partie de ses pertes (considérant qu’il a lui-même concouru à la réalisation de son propre préjudice). Pour arriver à cette conclusion il a retenu que les opérations de virement auraient dû attirer l’attention du banquier sur le caractère suspect des destinataires des fonds et qu’il avait à sa disposition des indices, à travers les libellés des opérations étrangers des virements effectués et le profil modeste de son client pour ensuite l’alerter et le mettre en garde.
En l’espèce, Monsieur B était conducteur de poids lourd et avant d’être mis en chômage puis à la retraite, n’avait par ailleurs aucune expérience en matière de placement financier. La banque ne s’étant pas alertée lors des virements litigieux notamment certains renseignant les termes Goldwin Market ou Global Forex qui sont de nature à révéler les soupçons de la banque. Par conséquent le banquier a été condamné par un jugement rendu par le tribunal de Quimper le 13 avril 2021.
Au-delà de l’affaire concernée, ce jugement est important dans la mesure où il constitue la confirmation du Tribunal Judicaire d’Albi du 13 février 2020 qui est le premier jugement définitif condamnant une banque pour manquement à son devoir de vigilance dans les litiges de fraudes aux faux investissements et ouvre la voix à une nouvelle jurisprudence favorable aux victimes des escroqueries financières.